Qui choisit le Premier ministre ?

Je suis étonné par tout ce qui se dit en ce moment autour du futur Premier ministre : Jordan Bardella pose ses conditions et Jean-Luc Mélenchon, après avoir fait profil bas, laisse réapparaître son naturel autoritaire. L’un comme l’autre semblent croire dur comme fer que c’est leur camp qui choisira. Vraiment ?

Car si effectivement en 1986, 1993 et 1997 François Mitterrand et Jacques Chirac avaient nommé Premier ministre le candidat proposé par la nouvelle majorité (Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin), lors de la première cohabitation Mitterrand avait refusé que Jean Lecanuet devienne ministre et refusé d’attribuer le ministère de la Défense à François Léotard (ce qu’il a accepté sept ans plus tard).

Donc, la simple connaissance de l’histoire nous rappelle que c’est le président de la République qui nomme les ministres, y compris le premier d’entre eux : le soir du 16 mars 1986, Mitterrand a annoncé à la télé « j’appellerai, demain, un Premier ministre issu de cette majorité ». Qui peut croire qu’Emmanuel Macron se sentira obligé par le choix du RN, de LFI ou même du Nouveau Front populaire ? Que feront les troupes RN si Macron nomme par exemple Sébastien Chenu ? Ils voteront la censure ? Et s’il nomme Raphaël Glucksmann ou François Ruffin ? Comme en 1936 les communistes, LFI se réfugiera dans le soutien sans participation ?

Comment se fait-il que les divers analystes aient à ce point oublié que c’est le président de la République qui nomme le Premier ministre et n’explorent pas toutes les pistes que permet ce choix ?

La rancune à la rivière

« Il faut jeter la rancune à la rivière » : la première fois que j’ai entendu cette expression c’était dans la bouche de Valéry Giscard d’Estaing à propos de son ancien Premier ministre Jacques Chirac. C’est Jean-Luc Mélenchon qui l’utilise aujourd’hui pour justifier son accord avec les autres partis de gauche, alors que des propos plus qu’acerbes sur le fond et la forme ont fusé de part et d’autre ces derniers mois.

Fort bien. Vu le danger représenté par l’extrême droite aux portes du pouvoir, on ne peut que s’en féliciter. Mais cet état d’esprit qu’il applique à l’égard des partenaires, que ne l’applique-t-il à l’intérieur de son mouvement ? Vu le fort désir d’union qu’il y a toujours eu parmi le peuple de gauche, sans doute a-t-il jugé qu’il n’avait pas le choix en ce qui concerne les partenaires. Mais pas question d’appliquer le même principe chez lui. François Ruffin et Clémentine Autain ont été épargnés parce que trop connus et trop populaires, mais exit les autres qui ont commis un crime de lèse-majesté en gardant leur liberté de parole en interne. Chez les Insoumis on n’accepte que les soumis.

Malgré ses indéniables qualités de débatteur, Jean-Luc Mélenchon est incapable d’expliquer et de justifier sérieusement ces contradictions. Et cela augure bien mal des relations à l’intérieur de ce gouvernement de gauche que j’appelle de mes vœux.

Mélenchon, le fossoyeur du Nouveau Front populaire

La décision de Mélenchon de ne pas investir les députés de LFI qui ne lui obéissaient pas le petit doigt sur la couture du pantalon est un coup de poignard dans le dos des millions de citoyennes et citoyens pour qui l’avènement du Nouveau Front populaire avait suscité un immense espoir.

Programme clarifié sur des sujets clés comme l’Ukraine, répartition non hégémonique des circonscriptions, nous avons été nombreux à penser que LFI revenait à la raison pour ne pas rater l’opportunité historique qui s’offrait à la gauche. Mais non, ce n’était qu’une posture provisoire. Dans le monde de Mélenchon, tous ceux qui ne pensent pas comme le chef doivent être éliminés. Il a fait profil bas parce qu’il n’avait pas de rapport de forces favorable à l’intérieur de la gauche, mais là où il est en position de force il exerce celle-ci de la façon la plus brutale, trahissant l’esprit et la lettre de l’accord qui venait d’être signé.

Tous les démocrates sincères qui pensaient éventuellement se laisser tenter par un vote NFP, effrayés par les pratiques du personnage, vont maintenant reculer. C’est ce qu’il voulait : s’il ne peut pas être le chef incontesté de la gauche, il préfère que la gauche perde. Il ferait mieux de se préoccuper de l’image que l’histoire gardera de lui : le fossoyeur des espoirs du peuple de gauche.