Le millefeuille administratif de plus en plus indigeste

Dans la douche froide dont Manuel Valls a arrosé les Français, on aurait pu un moment croire qu’il y avait au moins une bonne nouvelle, puisqu’était reconnue la lourdeur des structures politico-administratives françaises. Las ! en y regardant de plus près, on s’aperçoit une fois de plus que la réalité aura peu de choses à voir avec l’effet d’annonce.

Il y a certes une certaine pertinence à trouver que les régions françaises sont trop petites. Mais, si certains regroupements sont certainement souhaitables, y procéder de façon systématique risquerait d’être culturellement hérétique et économiquement contre-productif. Surtout, le fait qu’il y ait éventuellement moins de régions n’enlève aucune des couches du millefeuille : commune, communauté d’agglomération, département avec ses cantons, région, nation, communauté européenne…

L’évocation de la disparition des départements relève elle aussi du « coup de com » : d’ici 2021, entre la pression des élus locaux et les changements de majorité quasiment inéluctables, nul doute que cette structure a encore de beaux jours devant elle… Et la campagne de l’an prochain pour ces élections départementales, selon un mode de scrutin très discutable, totalement nouveau mais qui sera sensé ne servir qu’une fois, risque d’être quelque peu surréaliste…

Comme si cela ne suffisait pas, il faut encore que l’Etat vienne un peu plus à brouiller les cartes en Ile-de-France, avec l’obligation pour les communautés d’agglomération d’avoir au moins 200.000 habitants. Alors qu’elles commencent juste à trouver leur vitesse de croisière et à être reconnues par les citoyens grâce à l’élection de ses représentants au suffrage direct, n’y avait-il vraiment rien de plus urgent que de tout chambouler ?

Avec ses quelque 120.000 habitants, notre communauté d’agglomération de la vallée de Montmorency avait pourtant une certaine cohérence et un début d’identité tout en restant à taille humaine. De même que notre voisine de Val-et-Forêt, même avec une population sensiblement moindre. Mais il va falloir maintenant revoir tous les découpages ? Comment les citoyens vont-ils arriver à se retrouver dans tout ce remue-ménage stérile ? Le but de ce gouvernement serait-il de les détourner un peu plus de la politique ?

 

Inquiétude et soulagement après le changement de gouvernement

Inquiétude, parce que le remplacement de Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls montre que le président de la République n’a rien compris au message que viennent d’adresser les Français. La ligne politique est mauvaise et de plus elle va maintenant être menée par quelqu’un qui ne peut qu’aller plus loin dans la dérive à droite, avec pour seul effet visible que les riches seront de plus en plus riches et que les pauvres seront de plus en plus pauvres. Forcément, un tel délitement social ne peut que mal finir.

Soulagement, parce que mon parti, Europe Ecologie Les Verts, a décidé de ne pas apporter sa caution à cette dérive. La décision a été prise en quelques heures par le bureau exécutif, mais, en tranchant dans ce sens, ses membres ont, eux, écouté ce que disaient les militants depuis plusieurs semaines. Cela veut dire que, malgré les nombreux nuages noirs, le pire n’est pas inéluctable.

Le pire n’est pas inéluctable parce que cela va permettre que EELV retrouve de la crédibilité après ce passage au gouvernement qui malheureusement n’a montré aucune évolution écologique palpable — au cours de la campagne municipale j’ai pu constater à quel point cette participation gouvernementale nous desservait auprès des Soiséennes et des Soiséens sensibles à l’écologie. Alors, maintenant, nous allons pouvoir défendre  notre projet sur la place publique sans avoir de boulet au pied, jusqu’à devenir la colonne vertébrale d’une réelle alternative à proposer au pays.

Nous devons travailler à ce rassemblement, avec le Front de gauche bien sûr, mais aussi avec tous les socialistes sincères abasourdis par la déliquescence dans laquelle sombre leur parti et, surtout, avec tous les citoyens qui, indépendamment du clivage droite/gauche, se rendent compte que la prise en compte de la problématique écologique est aujourd’hui tout simplement… vitale.

Des questions qu’on aurait préféré de pas avoir à se poser après la manifestation contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes

J’étais, comme des dizaines de milliers d’autres, présent samedi à Nantes pour marquer mon opposition à ce projet nuisible de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Sur le moment, j’ai été plutôt surpris de la façon dont les choses se déroulaient et fort étonné ensuite de la façon dont la communication était orchestrée. Nous sommes un certain nombre à avoir ensuite échangé nos impressions, et la lettre ouverte que vient d’adresser Françoise Verchère, conseillère générale de Loire-Atlantique, au ministre de l’Intérieur traduit bien les questions que nous sommes hélas amenés à nous poser. C’est pourquoi je la reproduis ci-dessous :

Monsieur le Ministre de l’Intérieur, 

Je vous ai entendu commenter dès samedi soir les événements en marge de la manifestation contre l’aéroport de Notre Dame des Landes et vos propos appellent de ma part quelques réactions et aussi plusieurs questions. 

Sur les chiffres d’abord : vous avez parlé de 1000 casseurs et de 20 000 manifestants dont vous avez dit qu’il fallait les différencier des premiers. Je crois décidément que vos services ont un problème avec le calcul car nous étions beaucoup plus de manifestants et il y avait beaucoup moins de casseurs : disons qu’on pourrait diviser le premier chiffre et multiplier le second par deux au moins pour approcher de la vérité. Mais dans cette affaire d’aéroport, la vérité est décidément malmenée depuis longtemps… 

Sur les fameux casseurs : je vous avoue que j’ai été très surprise de comprendre que vos services les connaissaient visiblement bien (vous avez donné des précisions sur leur origine, leur positionnement politique) et même qu’ils savaient ce qui allait se passer. Depuis deux jours, les bruits couraient sur des incidents à venir ; les avocats savaient qu’ils risquaient d’être réquisitionnés pour de nombreuses gardes à vue. Samedi matin, au moment où nous étions avec les tracteurs à l’aéroport de Nantes-Atlantique, les policiers présents nous ont spontanément parlé des « blacks blocs », en nous disant « qu’ils allaient gâcher notre manifestation ». 

Je m’étonne donc que « les forces de l’ordre » n’aient pas été au fond plus efficaces puisque cela aurait dû être leur mission, n’est-ce pas ? Puisque l’on sait désormais interdire un spectacle avant même qu’il n’ait lieu, et puisque nous n’avons pas sur la ZAD 1000 casseurs ni blacks blocs, pourquoi ne les avez-vous pas fait arrêter avant leur arrivée ? J’imagine que s’ils sont si dangereux, vous avez certainement des preuves et même des faits graves à leur reprocher ? 

Mais peut-être préfériez-vous les arrêter en flagrant délit ? Est-ce pour cela que vous n’avez pas fait protéger l’agence Vinci, située au tout début du parcours de la manifestation, pas plus que des engins de chantier Vinci aussi (car Vinci est partout vous le savez, immobilier, parkings, aéroports…) dont vous saviez qu’ils seraient forcément des cibles ? Est-ce pour cela que la Préfecture n’a autorisé qu’un parcours ridiculement petit, jamais vu jusque là ? Est-ce pour cela que les échauffourées localisées dans un périmètre pourtant restreint ont duré plusieurs heures ? Et au bout du compte combien y a-t-il eu d’interpellations ? Une douzaine seulement…C’est assez curieux et à vrai dire difficilement compréhensible alors que les moyens déployés étaient impressionnants, en hommes et en matériel anti-émeute, alors que la fermeture du centre ville était inédite, alors qu’il y avait vraisemblablement des hommes à vous des deux côtés. 

Évidemment les images de « la guérilla urbaine » dont vous avez parlé seront reprises à l’envi plus que celles du char-triton, des 520 tracteurs présents ou des nombreuses familles manifestant paisiblement. Évidemment, cela permettra d’occulter une fois encore le fond du dossier, évidemment le choeur des partisans de l’aéroport poussera des cris horrifiés en rejetant la responsabilité sur les organisateurs de la manifestation. 

Organisateurs qui ont pourtant tenté d’éviter l’affrontement en interposant des tracteurs entre l’imposant mur de fer érigé et ceux qui voulaient effectivement en découdre. 

Organisateurs dont le métier n’est pas d’assurer l’ordre, vous en conviendrez et à qui il serait malvenu de demander de faire mieux que vous… Organisateurs particulièrement choqués, en tout cas, par les propos du Préfet de Loire-Atlantique qui n’a pas hésité à affirmer que nous « opposants historiques » devions cesser « d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ». Je me suis pincée pour y croire…encore un peu de temps et nous finirons nous-mêmes par être tenus pour de dangereux terroristes alors que nous avons participé loyalement au débat public, et à toutes les commissions mises en place. Débat déloyal puisqu’il y a une « vérité officielle » intangible même quand elle est contraire aux faits, aux chiffres et à la réalité. Le Premier Ministre ne reconnaît la validité que de la commission du dialogue à qui il avait donné mission de valider à nouveau le projet, mais refuse de regarder les conclusions accablantes de la commission des experts scientifiques au regard de la loi sur l’eau. Comment croire encore à la parole de l’État ? 

En réalité, Monsieur le Ministre, tout cela est très lisible et vieux comme le pouvoir. 

Pour discréditer notre combat, et tenter de retourner l’opinion publique qui nous est aujourd’hui favorable, on fera appel à la peur du désordre, on utilisera l’image, déplorable je vous l’accorde, des dégradations commises par les méchants casseurs et on justifiera ainsi une nouvelle opération policière pour aller enfin nettoyer la ZAD de ses « délinquants dangereux », en même temps que de ses tritons et de ses paysans. Il faudra mettre les moyens (ils sont mille, ne l’oublions pas, et les tritons innombrables…) mais vous y êtes peut-être prêts pour que « force reste à la loi »? Permettez-moi de vous le déconseiller car pour que nous, citoyens, acceptions désormais cette clef de voûte théorique de la société, (« la seule violence légitime est celle de l’État »), il faudrait que l’État soit irréprochable, que la loi soit juste et que ses représentants soient dignes du mandat que nous leur avons confié. Vous avez compris, je pense, que ce n’est pas le cas depuis longtemps. 

Depuis deux jours, j’ai lu et entendu que le centre ville de Nantes était « saccagé », qu’un commissariat avait été « dévasté », qu’il faudrait du temps pour « panser les plaies de la ville », que les dégâts ne pouvaient pas encore être chiffrés, autant dire que c’était l’apocalypse. Les mots eux-mêmes sont visiblement sens dessus dessous… Puis-je vous suggérer de venir à Nantes pour juger de la situation ? Aujourd’hui dimanche, flottait certes une petite odeur de gaz lacrymogène, mais le tramway roulait et les nantais flânaient. Je ne nie pas les poubelles brûlées, les pavés arrachés, les vitrines brisées et les murs maculés dans le secteur des affrontements. Je déplore ce vandalisme d’autant plus que nous dénonçons par ailleurs le gaspillage d’argent public qu’induirait le transfert de l’aéroport ! 

Mais je voudrais aussi vous rappeler que samedi des personnes âgées, des enfants ont été noyées sous les lacrymogènes. Et qu’un jeune manifestant a perdu un oeil à cause d’un éclat de grenade assourdissante. Ce n’était pas un casseur. Et cela nous rappelle le même malheur survenu déjà à Nantes, à cause d’un tir tendu de flash ball lors d’une manifestation sans violence devant le Rectorat. Les aubettes seront reconstruites, cela fera même monter le P.I.B mais ce jeune restera, lui, marqué à jamais. Cela m’interroge sur la manière dont les forces de l’ordre utilisent leurs armes et me scandalise davantage que la casse matérielle. Et demain, si le gouvernement persistait dans son projet d’aéroport, la destruction du bocage de Notre Dame des Landes et de la vie qu’il abrite serait elle aussi irréversible. 

Il faut arrêter un projet désormais dans l’impasse et régler le problème en prenant la seule décision raisonnable : respecter la loi sur l’eau, améliorer l’aéroport de Nantes-Atlantique et rendre sa sérénité à Notre Dame des Landes pour que la ZAD redevienne une campagne où vivre et travailler. Vous pourrez ainsi, Monsieur le Ministre, vous consacrer aux blacks blocs si vous le jugez indispensable. 

Dans l’espoir de votre réponse, je vous assure de mes salutations les plus distinguées, 

Françoise Verchère, 
Conseillère générale de Loire-Atlantique